Le 6 avril 1968
Centre municipal d'Ottawa
Président: Le sénateur John Nicol
La course à la succession de Lester Pearson a provoqué la tenue du plus spectaculaire des congrès de toute l’histoire politique du Canada.
LES CANDIDATS
Robert Winters avait tiré sa révérence comme ministre et demandé l’élaboration d’un budget équilibré en vue de combattre l’inflation galopante.
Paul Hellyer a souligné l’importance de concentrer les efforts sur le développement régional, sur l’urbanisme et sur la réforme du Parlement.
John Turner a ciblé la modernisation des structures du gouvernement.
Paul Martin a misé sur les trois décennies qu’il avait consacré au Parlement et ses récents accomplissements comme ministre des Affaires étrangères. Son équipe espérait récolter 650 voix dès le premier scrutin.
Finalement, Pierre Trudeau promettait aux Canadiens une plus grande liberté de choix et d’unité nationale ainsi que le maintien du contrôle financier de la sécurité sociale.
Trudeau était perçu de plus en plus comme le favori avant le congrès alors que Martin perdait son élan. Les observateurs se demandaient qui pouvait l’arrêter et si une alliance pouvait réussir.
Les autres candidats étaient Allen MacEachen, Joe Greene, Eric Kierans, et Lloyd Henderson.
LE CONGRÈS
Mitchell Sharp s’est retiré et a accordé son soutien à Trudeau tout juste avant le début des délibérations. Les autres ministres qui appuyaient Trudeau étaient Jean Marchand, Edgar Benson, Bryce Mackasey, Charles Drury, Jean-Luc Pépin, et Jean Chrétien.
Ce samedi-là, MacEachen, Greene et Maurice Sauvé s’étaient rangés dans son camp. Joey Smallwood, premier ministre de Terre-Neuve, a aussi annoncé son appui pour Trudeau alors que le congrès commençait.
Le premier jour, la prière d’ouverture a été retardée parce que les partisans de M. Trudeau étaient trop agités. M. Pearson a ensuite prononcé un discours, puis les candidats ont longuement parlé dans le cadre de divers ateliers sur les politiques.
Près de 2 400 délégués se sont inscrits pour voter dans une ambiance à la fois assombrie par l’assassinat de Martin Luther King, fils, mais et égayée par la musique d’orchestres et de chanteurs folkloriques, et par des fêtes.
LE SCRUTIN
Il a fallu sept heures. À chaque tour, la personne qui arrivait dernière était éliminée.
Martin était visiblement ébranlé après l’annonce des premiers résultats au milieu de l’après-midi. Il s’est retiré de la course sans appuyer qui que ce soit. D’après le quotidien Montreal Gazette, Martin a écrit qu’il s’était retrouvé dans un conflit des générations mené au dos d’une fiche. Son fils, Paul, n’a pu cacher son émotion en s’adressant aux journalistes.
MacEachen a rejoint le camp de Trudeau après le premier tour de scrutin. Il a manqué l’échéance pour se retirer officiellement du deuxième tour – un geste perçu comme une manœuvre stratégique visant à garder Greene dans la course pour le troisième dépouillement et affaiblir Hellyer.
Kierans a libéré ses délégués. Henderson n’a obtenu aucun vote. Greene s’est rallié à Trudeau après avoir refusé de se retirer après le deuxième tour et appuyé Hellyer.
Aucune autre entente n’est intervenue avant l’annonce du résultat du deuxième tour. Hellyer, qui était confiant après le premier tour, a refusé de céder sa place à Winters plus tard même après avoir obtenu huit voix de moins pour arriver deuxième et tenu plusieurs réunions. Turner était perçu comme un compromis possible, mais il refusait de bouger, et n’appuyait ni Winters ni Hellyer.
L’équipe de Trudeau se sentait un peu découragée après le deuxième tour. Les appels téléphoniques émanant de sa section se multipliaient. Cependant, les pactes se faisaient attendre, ce qui a ouvert la voie à la victoire de Trudeau.
Judy LaMarsh, une éminente ministre libérale qui souhaitait à tout prix la défaite de Trudeau, a été filmée alors qu’elle suppliait Hellyer de participer à une alliance qui barrerait la route au « bâtard ».
Une alliance entre Winters et Hellyer est enfin intervenue après le troisième tour lorsque ce dernier s’est retiré.
Trudeau, lui, mangeait tranquillement des raisins en attendant le résultat.
Le résultat du quatrième tour a été annoncé à 19h55 après six heures de vote. Trudeau avait une majorité de seulement 20 voix, mais c’était suffisant pour gagner. La foule a explosé de joie, et les journalistes qui couvraient le congrès ont décrit une foule en délire à l’intérieur de l’aréna.
Dans son discours, il a évoqué la promesse d’une « société juste » pour tous les Canadiens et l’a conclu avec la phrase « Il y aura probablement de l’action ce soir, à l’hôtel Skyline.»
Environ 5 000 personnes se sont massées dans le foyer de l’hôtel et dehors, dans la rue.
AUTRES FAITS :
- « Il y a toujours des cicatrices », dira plus tard Trudeau à des journalistes. « Ma première priorité sera peut-être de m’assurer que les partisans des autres candidats se sentent chez eux dans un Parti libéral revigoré.» Il a dit que la tenue d’une élection n’était pas sa grande priorité. Or, le Parlement a été dissous plus tard ce mois-là, et la « Trudeaumanie » a permis aux libéraux de remporter leur première victoire majoritaire depuis 1953.
- Les bénévoles de Trudeau le désignait par le nom de code « Victor » dans leurs communications par walkie-talkie.
- Ernst Zundel, un artiste commercial âgé de 29 ans, a prononcé un discours mais s’est retiré avant le début du scrutin. Il avait recueilli à peine suffisamment de signatures pour se présenter, s’identifiait comme un « candidat dérangeant », niait être un néo-nazi, et son discours n’a été écouté que par un délégué. Plus tard, il est devenu célèbre en tant que négationniste de l'Holocauste expulsé du Canada et incarcéré en Allemagne.